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2 déc. 2010

Harper Roy

Drôle de pistolet Roy Harper. Trop mercuriel pour toucher le grand public, mais présent dans la plupart des discothèques. Souvenez vous de Wish You Were Here, le Floyd en pleine débâcle émotionnelle. Dans toute cette crème trop fraiche, un morceau claquait comme une porte sur les doigts d'un représentant en tracteurs forestiers. Have A Cigar imposait brutalement une couleur cinglante, avec les vocaux acerbes qui amplifiaient le texte. Au micro Roy Harper, rien moins. Le Monsieur (réputé ingérable et moitié maboule) a comme ça, à défaut d'un compte en banque bien garni, un carnet d'adresses imparable. Au hasard des disques on a vu défiler, excusez du peu, David Gilmour, John Paul Jones, Chris Spedding ou Jimmy Page. Ce dernier a même enregistré (en 1985) un chouette album entier avec Harper. Et Led Zep lui a dédié un morceau, sur le troisième album. Pas un rigolo de troisième zone, donc. Redoutable spécialiste du LONG morceau à tiroirs en plus. Tendance encore absente de son très beau premier album solo. Guitare acoustique complexe tout du long, folk rageur ou nostalgique, facilité mélodique où résonne la lointaine influence de Dylan. Tout ceci est digne du meilleur Neil Young ou Nick Drake, pour les jours de pluie interne. Le tout premier morceau étant suffisamment ravagé pour qu'on accroche de suite.

On veut savoir qui est ce type hagard, qui chevauche sa guitare, dont il a bousillé les cordes. À l'image même de la pochette. Difficile d'imaginer avoir ingéré tout ceci en plein été des fleurs acides, tant le ton solennel et la retenue incitent à l'introspection façon Léonard Cohen. Jamais entendu le second album, mais sur le troisième, les choses se menacent de se gâter gravement. Début bien poussif et aseptisé, standard Dylan quand il décide de saboter un de ses disques. Ça se traine sans but pendant quatre morceaux, et on est en train de rendre son tablier quand le superbe One For All déboule, en grillant un feu rouge. Gammes entrecroisées modèle Page inspiré et sublime, structure éclatée à l'infini, se contrefoutant des règles de l'harmonie. Pierre philosophale sortie d'un esprit à l'alchimie tortueuse. Le travail de guitare est énorme, jamais tourné vers la démonstration, en dépit d'un minimum de vocaux. Et c'est pourquoi l'enchainement avec une parodie de Syd Barrett fait mal aux dents. Mais qui est ce zébulon, capable du meilleur comme du pire, sans bouger un sourcil ? L'avant-dernier morceau, presque vingt minutes, peut logiquement faire peur. Mc Goohan Blues (référence au bien gonflant Prisonnier) embrouille les pistes à souhait. À noter que le message anti aliénation, thème central de The Wall bien plus tard, est déjà la. Pour échapper à l'armée, Harper avait feint la folie, et fait un séjour en psychiatrie. Il est permis de supposer que cette expérience l'a marqué en profondeur. Comme n'importe qui ayant approché, de prés ou de loin, l'univers de la santé mentale. Les murs blancs, les pilules, les journées en coton, tout ce qui tue plus que la mort. En tout cas, il mène superbement son affaire pendant dix minutes, puis il déroule à l'infini de notre ennui, encore. Avant de retomber dans ses mauvais travers, et de tout réduire à néant en concluant avec une sorte de chanson à boire, tout à fait mal venue. À ce stade, le cerveau de l'auditeur chauffe sérieusement, malmené qu'il est par tant d'embardées.

Et quoique qu'il arrive, on est déjà dans son disque de 1970, à essayer de comprendre les paroles de I Hate The White Man, son réquisitoire anti grande race, son holocauste servi à la gueule des viandes blanches. Ami de tous les opprimés, de ceux qui ont la malchance d'être de la mauvaise couleur, Roy Harper crache dans la soupe de la bonne société, ligotant dos à dos la gauche et la droite. Renvoyant les chanteurs de folk en général, et les donneurs de leçon en particulier, pointer à leur cour d'expression théâtrale. Avec un bon coup de pied au cul, en prime. Et c'est uniquement le début d'un disque éclatant de beauté. Si l'ambroisie (nectar des Dieux) existe, elle doit avoir exactement ce goût. Long moment de recueillement acoustique, pénétrant et habité. Et bien sûr, le dernier morceau (avec les Nice comme accompagnateurs) parle des Hell's Angels, sur fond d'électricité saturée. Grincements de dents assurés chez les folkeux pur jus. D'autant que sur la fin, on entend Harper se bidonner comme douze baleines. Tout ceci n'est qu'une esquisse, incapable de refléter la somme de curiosité et d'intensité distillée par ce curieux client. Attention au faux confort d'écoute, tout ici dissimule lames de rasoirs et autres gadgets dangereux. À pratiquer intensément pour bien saisir toutes les nuances.

Laurent

DISCOGRAPHIE :

Albums :

_ 1967 : The Sophisticated Beggar (Label Strike JHL 105).

_ 1967 : Come Out Fighting Gengis Smith (Label CBS SBPG 63184 ).

_ 1969 : Folkjokeopus (Label Liberty LBS 83231 ).

_ 1970 : Flat Baroque And Bersek (Label Harvest SHVL 766).

Singles :

_ 1967 : Midspring Dithering/Zengem (Label CBS 203001)

_ 1968 : Life Goes On/Nobody Got Any Money In The Summer (Label CBS 3371).

_ 1969 : Take Me In Your Eyes/Pretty Baby (Label Strike JH 304).

LIEN :

Francesca Davey

One For All

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